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Cecilia Malmström : "l'immigration sera nécessaire pour l'Europe"

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Amine






LE MONDE | 10.07.2012 à 14h23 • Mis à jour le 10.07.2012 à 14h23

Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)


Cécilia Malmström, la commissaire européenne aux affaires intérieures, lors d'une conférence de presse à Bruxelles, le 19 juin. Cécilia Malmström, la commissaire européenne aux affaires intérieures, lors d'une conférence de presse à Bruxelles, le 19 juin. | AFP/GEORGES GOBET
Cecilia Malmström, commissaire européenne aux affaires intérieures, devait rencontrer, mardi 10 juillet, à Paris, Manuel Valls. Au menu, principalement : l'avenir de l'espace sans frontières de Schengen après l'approbation, par le ministre de l'intérieur français, du principe du rétablissement des contrôles aux frontières en cas de circonstances "exceptionnelles".

Le débat sur Schengen a été déclenché par les événements du "printemps arabe". A ce propos, vous estimez que l'Europe a raté une "opportunité historique". Pourquoi ?

Que, dans notre voisinage immédiat, des populations fassent pacifiquement tomber des dictateurs et réclament la liberté et les droits de l'homme fut un événement majeur. Or qu'avons-nous dit à des gens qui s'inspiraient de nos valeurs ? Que nous étions en crise et que nous avions peur de "vagues bibliques" d'immigrés... Notez que 4 % seulement de ceux qui ont fui la Libye se sont dirigés vers l'Europe ! Notre attitude a entraîné une détérioration de nos relations avec ces pays et créé une suspicion qui commence seulement à être surmontée.

Vous avez déclaré récemment que l'immigration n'était, pour l'Europe, "pas une menace mais une chance" et même "un facteur de croissance". Un discours qui surprend...

Bien sûr, mais je le maintiens. L'immigration sera nécessaire, étant donné notamment l'évolution de la démographie dans la plupart de nos pays. On estime qu'en 2030, sans nouvelle immigration, la population européenne en âge de travailler aura diminué de 12 %. Des chefs d'entreprise me confient régulièrement leur difficulté à recruter des gens qualifiés alors même que le chômage est au plus haut. L'Allemagne manque d'ingénieurs ; d'ici à 2020, le secteur européen de la santé devrait manquer de 2 millions de personnes.

Or un rapport de l'OCDE vient de montrer que beaucoup de personnes susceptibles d'émigrer sont moins tentées par l'Europe et davantage par le Brésil, le Canada ou l'Australie, voire l'Angola ou le Mozambique. Cela pourrait, à terme, nous causer de grosses difficultés. La même OCDE montre d'ailleurs que la pression migratoire sur l'Europe s'allège. Mais, bien sûr, ce peut être un effet temporaire de la crise que nous connaissons.

La pédagogie sur cette "nouvelle immigration" est donc nécessaire mais, visiblement, le propos est difficile à tenir...

Oui, mais la réalité est là. Le rôle de la Commission de Bruxelles est aussi d'encourager les politiques à la prendre en compte. D'envisager les problèmes sur le long terme et de s'élever au-dessus des contingences nationales. Les milieux académiques considèrent d'ailleurs que ce que je dis est parfaitement banal...

La montée des forces populistes et xénophobes, y compris dans cette Europe du Nord dont vous venez, empêche que l'on entende votre message. Comment faire ?

Il est vrai que Geert Wilders, par exemple, me transforme désormais en ennemi principal des Pays-Bas... Plus fondamentalement, je plaide pour un véritable partage de la charge entre Européens en matière d'immigration et d'asile. Je dis que l'intégration est, dans la plupart des grandes villes, un échec et que la ghettoïsation est une réalité dont les politiques sont responsables parce qu'ils n'ont pas agi avec suffisamment de vigueur. Je réclame aussi une meilleure utilisation de la main-d'œuvre existante.

Donc, il ne s'agit pas d'ouvrir les portes en grand, mais de s'interroger sur la façon de faciliter une nouvelle immigration légale - ce qui est d'ailleurs aussi une manière de lutter contre l'immigration illégale.

De l'autre côté du spectre politique, on vous suspectera d'organiser un exode des cerveaux, le "brain drain", et de priver certains pays de leurs meilleurs éléments...

C'est une question primordiale. Notez toutefois qu'en Tunisie de nombreux personnels infirmiers sont au chômage : pourquoi refuser dès lors qu'ils viennent, pour une période limitée, en France ou ailleurs ? L'Inde et la Chine comptent un surplus d'ingénieurs qui, une fois formés de manière complémentaire en Europe, pourraient être très utiles à leur pays. Ce n'est pas le "brain drain" qu'il faut organiser, mais le "brain gain" ["la croissance des cerveaux"].

Comment convaincre à la fois les dirigeants et l'homme de la rue qui, souvent, ressent confusément l'immigration comme une menace ?

J'ai le sentiment, et des études le confirment, que le citoyen est souvent plus ouvert que certains politiques. Il réclame davantage d'information et il a le sentiment que certains courants manipulent la réalité. Les mêmes études confirment que l'immigration est d'ailleurs souvent un thème plus important pour les milieux politiques que pour les électeurs. Lors de mes rencontres avec des ministres, ils me confient parfois qu'ils sont d'accord avec moi mais ne peuvent pas le dire trop haut... Les images de bateaux de clandestins arrivant à Lampedusa sont apparemment plus fortes que les données objectives.

Vous fondiez beaucoup d'espoir sur un changement de pouvoir en France. Or, lors de son premier Conseil européen, à Luxembourg, en juin, Manuel Valls a, pour l'essentiel, approuvé les positions défendues par Claude Guéant sur la nécessité de rétablir les contrôles aux frontières. Déçue ?

La question centrale est de déterminer précisément les situations "extraordinaires" pouvant motiver un rétablissement des contrôles. Chacun sait que je ne suis pas d'accord avec le dernier compromis en date et que je réclame toujours une supervision des situations nationales par la Commission - en collaboration avec les pays membres, bien sûr - afin que cet examen soit réellement indépendant et transparent. La décision du Conseil n'est pas formalisée, le Parlement n'a pas voté. Il reste donc une possibilité de reprendre le débat en septembre.

Comment appréciez-vous la position de M.Valls ?

Sa situation était très difficile, avec un Conseil européen quelques jours après son arrivée au ministère de l'intérieur. Je me réjouis de le rencontrer.

Vous espérez le faire changer d'avis ?

On verra.

Avec quels arguments ?

On verra.

Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)

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