[b]ENQUÊTE
Hôpital : le tabou des médecins aux diplômes étrangers
Par Eric Favereau — libération 28 décembre 2017
Face à la pénurie de personnel, nombre d’établissements, en particulier dans les zones peu attractives, ont de plus en plus recours à des praticiens formés à l’étranger et contraints à la précarité. Symptôme de la crise de l’hôpital.
Hôpital : le tabou des médecins aux diplômes étrangers
C’est l’angle mort de la crise des hôpitaux publics : les «médecins à diplômes étrangers». On évite d’en parler, on fuit le sujet. Les directeurs d’hôpitaux, par exemple, ne veulent surtout pas l’aborder. «Vous nous informez que vous conduisez une enquête sur les questions de démographie médicale en France et sur les médecins à diplômes étrangers, répond ainsi le directeur de l’hôpital de Château-Thierry (Aisne). Nous ne souhaitons pas participer à votre enquête.» Ajoutant, bon prince : «Mais nous sommes pleinement à disposition si vous souhaitez à l’avenir avoir un exemple de structuration territoriale des filières de prise en charge.»
L’hôpital de Château-Thierry, couplé avec celui de Soissons, emploie 30 médecins titulaires de diplômes français, 10 venant de l’Union européenne et 19 de pays hors UE, soit en tout 11 nationalités différentes. Autre cas, l’hôpital François-Mitterrand de Nevers : l’établissement fonctionne, lui, avec 62 médecins à diplôme français, 15 issus de l’Union européenne, et 21 de pays hors UE. Le maire reconnaissait récemment devant la presse : «La proportion de médecins étrangers pose question, elle n’est pas toujours comprise.»
Des exemples isolés ? Nullement. A l’exception des hôpitaux universitaires et des établissements situés dans certaines régions regardées comme attractives comme la côte Atlantique ou le Sud, les hôpitaux de l’Hexagone ne pourraient aujourd’hui fonctionner sans les médecins à diplômes étrangers. Sachant que la France compte un nombre record d’établissements de santé par habitant, qu’il faut bien faire tourner. Encore d’autres exemples : l’hôpital de Gonesse dans la banlieue nord de Paris, fort de 131 médecins diplômés en France, 21 venant de l’Union européenne, et 61 hors Union. A Dreux (Eure-et-Loir), même taux : 102 médecins à diplômes français, 68 à diplômes étrangers, issus de 21 pays différents. Et même refus de la direction d’aborder la question. «Il ne faut pas jeter de l’huile sur le feu», nous répond, agacée, la directrice de l’établissement. Certes, mais à Dreux leur nombre a presque doublé en l’espace de sept ans.
Le cas de Dreux
Le cas de l’hôpital Dreux est emblématique des établissements qui cumulent toutes les difficultés. «La situation, raconte un ancien chef de service, est un drame, parce que les autorités, comme le directeur et l’agence régionale de santé, ne prennent pas la mesure de l’aspect social de l’hôpital. On fait des économies. Or, Dreux est une des dix villes le plus pauvres de France.» «C’est un bateau qu’on laisse couler», dit un autre. Récemment, la quasi-totalité des médecins des urgences ont menacé de démissionner. «Nous avions fait grève, il y a un an et demi, pour tirer la sonnette d’alarme sur nos conditions de travail et d’accueil des patients. Nous n’avons constaté aucune réaction de la part de la direction», affirmait alors l’un d’entre eux. «Depuis, la situation s’est encore dégradée. Trois médecins sont partis fin 2016 et n’ont pas été remplacés. Cela devient difficilement supportable.»
Pour ce médecin comme pour d’autres, la question n’est pas tant celle de l’origine des diplômes des médecins, mais le manque d’attractivité de l’hôpital, et le peu de moyens que se donnent les pouvoirs publics pour y remédier, avec un effet miroir des inégalités sociales. «Les médecins à diplômes étrangers sont le visage des impasses de nos hôpitaux», dit-il joliment. Un autre médecin, qui vient de partir à la retraite : «Evidemment, la question de la qualité des soins est posée, mais que peut-on en dire ? Il est impossible d’en discuter. Il y a de très bons médecins, d’autres moins. Le problème est que la santé n’est pas qu’une affaire technique, l’aspect culturel et relationnel est important. C’est peut-être là le point noir.»
Que disent les chiffres ?
Le mois dernier, le Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom) a rendu publique une analyse très fouillée de la situation, aussi bien dans les hôpitaux qu’en ville. «Au 1er janvier 2017, la France compte 26 805 médecins titulaires d’un diplôme obtenu à l’étranger, parmi lesquels 22 619 exerçaient de façon régulière, soit 11,8 % du total des médecins en activité régulière, en hausse de 7,8 points par rapport à 2007.» Puis ce constat : «Le nombre des médecins exerçant en France avec un diplôme européen ou extra-européen a quasiment été multiplié par deux entre 2007 et 2017 et devrait atteindre les 30 000 en 2020.» Avec quelques particularités notables, dont, ces dernières années, la montée en puissance des médecins diplômés en Roumanie (lire page 5) qui sont aujourd’hui 4 254. «Ce nombre a été multiplié par sept depuis 2007, date de l’entrée du pays dans l’Union européenne. Ils devraient être 4 711 en 2020, soit un effectif proche de ceux diplômés en Algérie, dont le nombre a cru de 56 % en dix ans.»
Qu’en déduire ? D’abord une surprise : on aurait pu croire, en effet, que ce nombre croissant venait pallier le manque de médecins de ville dans certains territoires. En réalité, il n’en est rien. Très majoritairement (deux sur trois), ces médecins choisissent l’exercice salarié, et donc généralement de travailler dans les hôpitaux. L’étude de l’Ordre souligne clairement qu’«à l’instar de leurs confrères français, ils ne s’installent pas dans les zones définies comme déficitaires». D’un point de vue démographique, ces médecins ont en moyenne 50 ans, 43,1 % sont de nationalité française, et 29 % sont naturalisés français.
Des praticiens moins payés
Les médecins à diplômes étrangers vont donc travailler massivement à l’hôpital. En particulier dans les hôpitaux peu attractifs, qui ont du mal à recruter. En clair : là où les autres ne veulent pas aller. Et les directions des hôpitaux les accueillent facilement, d’autant qu’ils sont souvent moins payés que ceux à diplômes français, en raison de leur statut. Cela étant, les experts en démographie médicale ont du mal à expliquer l’inadéquation entre médecins et territoires. Quelle est la cause, quel est l’effet ? Certes, après une longue période de baisse du numerus clausus, la France a largement ouvert les vannes, et le nombre d’étudiants admis à se former en deuxième année a plus que doublé entre 1998 et 2014 pour passer de 3 500 en 1992 à 7 941 en 2017. Et ces vingt dernières années, le nombre de praticiens hospitaliers a doublé, passant de 20 000 à plus de 40 000 aujourd’hui. Mais les besoins sont là dans des hôpitaux de taille moyenne, souvent désertés par les diplômes français. Les raisons ? Les 35 heures et les RTT ont profondément changé la donne, nécessitant beaucoup de créations de postes. S’y ajoute une régularisation des médecins exerçant à l’hôpital : dans les années 80, il y avait ainsi kyrielle de statuts variés - médecins associés, vacataires, attachés, faisant fonction d’internes, etc. Désormais, soit le médecin hospitalier travaille à temps plein, soit à temps partiel.
Bilan : si l’on excepte les zones attractives et les CHU, c’est bien souvent entre un tiers et près de la moitié de médecins à diplômes étrangers qui exercent dans ces établissements de soins. Soit une hausse de près d’un tiers en sept ans. «Leur venue rend énormément service à certains hôpitaux qui peinent à attirer les jeunes médecins français», avoue sans faux-fuyant le Dr François Arnault, chargé de cette question au Cnom.
Contrats courts
Depuis vingt ans, la situation s’est améliorée, mais rien n’est encore achevé car le flux reste continu. Le mois dernier, une quarantaine de médecins diplômés hors de l’UE travaillant dans des hôpitaux français sous des statuts précaires se sont ainsi rassemblés devant le ministère de la Santé, à Paris, pour réclamer la régularisation de leur situation et la plénitude d’exercice.
Le Syndicat national des praticiens à diplôme hors Union européenne (SNPADHUE) pointe la «situation alarmante» de quelque 2 500 praticiens travaillant dans les hôpitaux publics comme faisant fonction d’interne (FFI) ou praticien attaché-associé avec de faibles rémunérations, des contrats courts et «sans perspectives d’évolution». Leur situation administrative est complexe. Jusqu’à fin 2016, des mesures dérogatoires permettaient à ceux arrivés en France avant août 2010 de valider leur diplôme en passant un examen au terme de trois années d’exercice. Environ 500 médecins qui n’ont pas obtenu cet examen sont autorisés à exercer jusqu’à fin décembre 2018. Mais 2 000 médecins à diplôme extracommunautaire ont été encore recrutés depuis l’été 2010 par des hôpitaux toujours frappés par une pénurie de blouses blanches. Et comme l’examen a été supprimé, ils n’ont plus qu’une option : passer un concours plus sélectif. Et la pénurie ne devrait pas cesser. «En France, ajoute le SNPADHUE, il y aura 30 % de départs à la retraite à partir de 2020 et environ 12 500 postes de praticiens hospitaliers vacants.»
Des problèmes en suspens
Ce qui est saisissant dans ce dossier, c’est que tous les acteurs (politiques, administratifs, médecins) font le dos rond. Ils regardent ailleurs. Comme si cela était banal. «On ne peut pas dire qu’il y a un conflit entre médecins à diplômes étrangers et médecins à diplômes français à l’hôpital. Car tous se retrouvent dans le même bateau, à se débattre contre la rigueur», analyse un ex-syndicaliste hospitalier. «Comme partout, il peut y avoir des bons et de moins bons, mais cela se gère», poursuit-il. La question de la qualité des soins est taboue. Nul ne veut s’y frotter, parfois à juste titre. «Le problème est ailleurs, il est là quand la collectivité médicale d’un établissement est trop disparate, trop variée, avec beaucoup de nationalités, et que la sauce commune a du mal à prendre. C’est là que réside le danger», poursuit ce syndicaliste hospitalier. «Quand il y a dans un même établissement une telle diversité dans la formation, c’est problématique », insiste-t-il. Un chef de service d’un hôpital du centre de la France s’interroge, et fait part de ses constats. «Souvent, ce sont des médecins qui ont été formés dans des pays où la technique était un luxe. Paradoxalement, en venant exercer en France, certains vont développer peut-être un peu plus que les autres le côté technique de la médecine, laissant de côté l’aspect humain, avec parfois, en plus, le problème de la langue. Mais ce qui m’intrigue le plus, ajoute-t-il, c’est un problème culturel, par exemple autour des droits des patients.»
Et ce médecin développe : «En soins palliatifs, par exemple, arrêter les traitements ne fait souvent pas partie de leur culture. Informer les patients n’est pas leur habitude. Il peut y avoir des conflits de valeurs. Je suis frappé de voir combien, dans mon service, certains médecins vont s’appuyer sur la famille plus que sur le patient, ce qui peut être problématique.» Un autre, médecin à diplôme étranger et totalement intégré, revient sur la question sociale et budgétaire. «Beaucoup d’entre nous exercent dans des hôpitaux difficiles, souvent isolés. Or la médecine hospitalière est collégiale. Comment fait-on ?»
«Ces médecins doivent au même titre que leurs confrères bénéficier de la confraternité, de l’entraide, et ne doivent pas être considérés comme des "envahisseurs", reconnaît le président de l’ordre des médecins, Patrick Brouet. Notre devoir est de les aider à intégrer notre système de santé.» Pour l’heure, cette présence importante permet de faire tourner la machine hospitalière. Mais la vie des hôpitaux en est changée. Or cet aspect n’est pas «travaillé» dans les hôpitaux, qui ont bien d’autres difficultés à traiter. «C’est dommage, lâche un médecin, ce mélange aurait pu être une chance, il est plutôt devenu un symptôme.»
Eric Favereau
Hôpital : le tabou des médecins aux diplômes étrangers
Par Eric Favereau — libération 28 décembre 2017
Face à la pénurie de personnel, nombre d’établissements, en particulier dans les zones peu attractives, ont de plus en plus recours à des praticiens formés à l’étranger et contraints à la précarité. Symptôme de la crise de l’hôpital.
Hôpital : le tabou des médecins aux diplômes étrangers
C’est l’angle mort de la crise des hôpitaux publics : les «médecins à diplômes étrangers». On évite d’en parler, on fuit le sujet. Les directeurs d’hôpitaux, par exemple, ne veulent surtout pas l’aborder. «Vous nous informez que vous conduisez une enquête sur les questions de démographie médicale en France et sur les médecins à diplômes étrangers, répond ainsi le directeur de l’hôpital de Château-Thierry (Aisne). Nous ne souhaitons pas participer à votre enquête.» Ajoutant, bon prince : «Mais nous sommes pleinement à disposition si vous souhaitez à l’avenir avoir un exemple de structuration territoriale des filières de prise en charge.»
L’hôpital de Château-Thierry, couplé avec celui de Soissons, emploie 30 médecins titulaires de diplômes français, 10 venant de l’Union européenne et 19 de pays hors UE, soit en tout 11 nationalités différentes. Autre cas, l’hôpital François-Mitterrand de Nevers : l’établissement fonctionne, lui, avec 62 médecins à diplôme français, 15 issus de l’Union européenne, et 21 de pays hors UE. Le maire reconnaissait récemment devant la presse : «La proportion de médecins étrangers pose question, elle n’est pas toujours comprise.»
Des exemples isolés ? Nullement. A l’exception des hôpitaux universitaires et des établissements situés dans certaines régions regardées comme attractives comme la côte Atlantique ou le Sud, les hôpitaux de l’Hexagone ne pourraient aujourd’hui fonctionner sans les médecins à diplômes étrangers. Sachant que la France compte un nombre record d’établissements de santé par habitant, qu’il faut bien faire tourner. Encore d’autres exemples : l’hôpital de Gonesse dans la banlieue nord de Paris, fort de 131 médecins diplômés en France, 21 venant de l’Union européenne, et 61 hors Union. A Dreux (Eure-et-Loir), même taux : 102 médecins à diplômes français, 68 à diplômes étrangers, issus de 21 pays différents. Et même refus de la direction d’aborder la question. «Il ne faut pas jeter de l’huile sur le feu», nous répond, agacée, la directrice de l’établissement. Certes, mais à Dreux leur nombre a presque doublé en l’espace de sept ans.
Le cas de Dreux
Le cas de l’hôpital Dreux est emblématique des établissements qui cumulent toutes les difficultés. «La situation, raconte un ancien chef de service, est un drame, parce que les autorités, comme le directeur et l’agence régionale de santé, ne prennent pas la mesure de l’aspect social de l’hôpital. On fait des économies. Or, Dreux est une des dix villes le plus pauvres de France.» «C’est un bateau qu’on laisse couler», dit un autre. Récemment, la quasi-totalité des médecins des urgences ont menacé de démissionner. «Nous avions fait grève, il y a un an et demi, pour tirer la sonnette d’alarme sur nos conditions de travail et d’accueil des patients. Nous n’avons constaté aucune réaction de la part de la direction», affirmait alors l’un d’entre eux. «Depuis, la situation s’est encore dégradée. Trois médecins sont partis fin 2016 et n’ont pas été remplacés. Cela devient difficilement supportable.»
Pour ce médecin comme pour d’autres, la question n’est pas tant celle de l’origine des diplômes des médecins, mais le manque d’attractivité de l’hôpital, et le peu de moyens que se donnent les pouvoirs publics pour y remédier, avec un effet miroir des inégalités sociales. «Les médecins à diplômes étrangers sont le visage des impasses de nos hôpitaux», dit-il joliment. Un autre médecin, qui vient de partir à la retraite : «Evidemment, la question de la qualité des soins est posée, mais que peut-on en dire ? Il est impossible d’en discuter. Il y a de très bons médecins, d’autres moins. Le problème est que la santé n’est pas qu’une affaire technique, l’aspect culturel et relationnel est important. C’est peut-être là le point noir.»
Que disent les chiffres ?
Le mois dernier, le Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom) a rendu publique une analyse très fouillée de la situation, aussi bien dans les hôpitaux qu’en ville. «Au 1er janvier 2017, la France compte 26 805 médecins titulaires d’un diplôme obtenu à l’étranger, parmi lesquels 22 619 exerçaient de façon régulière, soit 11,8 % du total des médecins en activité régulière, en hausse de 7,8 points par rapport à 2007.» Puis ce constat : «Le nombre des médecins exerçant en France avec un diplôme européen ou extra-européen a quasiment été multiplié par deux entre 2007 et 2017 et devrait atteindre les 30 000 en 2020.» Avec quelques particularités notables, dont, ces dernières années, la montée en puissance des médecins diplômés en Roumanie (lire page 5) qui sont aujourd’hui 4 254. «Ce nombre a été multiplié par sept depuis 2007, date de l’entrée du pays dans l’Union européenne. Ils devraient être 4 711 en 2020, soit un effectif proche de ceux diplômés en Algérie, dont le nombre a cru de 56 % en dix ans.»
Qu’en déduire ? D’abord une surprise : on aurait pu croire, en effet, que ce nombre croissant venait pallier le manque de médecins de ville dans certains territoires. En réalité, il n’en est rien. Très majoritairement (deux sur trois), ces médecins choisissent l’exercice salarié, et donc généralement de travailler dans les hôpitaux. L’étude de l’Ordre souligne clairement qu’«à l’instar de leurs confrères français, ils ne s’installent pas dans les zones définies comme déficitaires». D’un point de vue démographique, ces médecins ont en moyenne 50 ans, 43,1 % sont de nationalité française, et 29 % sont naturalisés français.
Des praticiens moins payés
Les médecins à diplômes étrangers vont donc travailler massivement à l’hôpital. En particulier dans les hôpitaux peu attractifs, qui ont du mal à recruter. En clair : là où les autres ne veulent pas aller. Et les directions des hôpitaux les accueillent facilement, d’autant qu’ils sont souvent moins payés que ceux à diplômes français, en raison de leur statut. Cela étant, les experts en démographie médicale ont du mal à expliquer l’inadéquation entre médecins et territoires. Quelle est la cause, quel est l’effet ? Certes, après une longue période de baisse du numerus clausus, la France a largement ouvert les vannes, et le nombre d’étudiants admis à se former en deuxième année a plus que doublé entre 1998 et 2014 pour passer de 3 500 en 1992 à 7 941 en 2017. Et ces vingt dernières années, le nombre de praticiens hospitaliers a doublé, passant de 20 000 à plus de 40 000 aujourd’hui. Mais les besoins sont là dans des hôpitaux de taille moyenne, souvent désertés par les diplômes français. Les raisons ? Les 35 heures et les RTT ont profondément changé la donne, nécessitant beaucoup de créations de postes. S’y ajoute une régularisation des médecins exerçant à l’hôpital : dans les années 80, il y avait ainsi kyrielle de statuts variés - médecins associés, vacataires, attachés, faisant fonction d’internes, etc. Désormais, soit le médecin hospitalier travaille à temps plein, soit à temps partiel.
Bilan : si l’on excepte les zones attractives et les CHU, c’est bien souvent entre un tiers et près de la moitié de médecins à diplômes étrangers qui exercent dans ces établissements de soins. Soit une hausse de près d’un tiers en sept ans. «Leur venue rend énormément service à certains hôpitaux qui peinent à attirer les jeunes médecins français», avoue sans faux-fuyant le Dr François Arnault, chargé de cette question au Cnom.
Contrats courts
Depuis vingt ans, la situation s’est améliorée, mais rien n’est encore achevé car le flux reste continu. Le mois dernier, une quarantaine de médecins diplômés hors de l’UE travaillant dans des hôpitaux français sous des statuts précaires se sont ainsi rassemblés devant le ministère de la Santé, à Paris, pour réclamer la régularisation de leur situation et la plénitude d’exercice.
Le Syndicat national des praticiens à diplôme hors Union européenne (SNPADHUE) pointe la «situation alarmante» de quelque 2 500 praticiens travaillant dans les hôpitaux publics comme faisant fonction d’interne (FFI) ou praticien attaché-associé avec de faibles rémunérations, des contrats courts et «sans perspectives d’évolution». Leur situation administrative est complexe. Jusqu’à fin 2016, des mesures dérogatoires permettaient à ceux arrivés en France avant août 2010 de valider leur diplôme en passant un examen au terme de trois années d’exercice. Environ 500 médecins qui n’ont pas obtenu cet examen sont autorisés à exercer jusqu’à fin décembre 2018. Mais 2 000 médecins à diplôme extracommunautaire ont été encore recrutés depuis l’été 2010 par des hôpitaux toujours frappés par une pénurie de blouses blanches. Et comme l’examen a été supprimé, ils n’ont plus qu’une option : passer un concours plus sélectif. Et la pénurie ne devrait pas cesser. «En France, ajoute le SNPADHUE, il y aura 30 % de départs à la retraite à partir de 2020 et environ 12 500 postes de praticiens hospitaliers vacants.»
Des problèmes en suspens
Ce qui est saisissant dans ce dossier, c’est que tous les acteurs (politiques, administratifs, médecins) font le dos rond. Ils regardent ailleurs. Comme si cela était banal. «On ne peut pas dire qu’il y a un conflit entre médecins à diplômes étrangers et médecins à diplômes français à l’hôpital. Car tous se retrouvent dans le même bateau, à se débattre contre la rigueur», analyse un ex-syndicaliste hospitalier. «Comme partout, il peut y avoir des bons et de moins bons, mais cela se gère», poursuit-il. La question de la qualité des soins est taboue. Nul ne veut s’y frotter, parfois à juste titre. «Le problème est ailleurs, il est là quand la collectivité médicale d’un établissement est trop disparate, trop variée, avec beaucoup de nationalités, et que la sauce commune a du mal à prendre. C’est là que réside le danger», poursuit ce syndicaliste hospitalier. «Quand il y a dans un même établissement une telle diversité dans la formation, c’est problématique », insiste-t-il. Un chef de service d’un hôpital du centre de la France s’interroge, et fait part de ses constats. «Souvent, ce sont des médecins qui ont été formés dans des pays où la technique était un luxe. Paradoxalement, en venant exercer en France, certains vont développer peut-être un peu plus que les autres le côté technique de la médecine, laissant de côté l’aspect humain, avec parfois, en plus, le problème de la langue. Mais ce qui m’intrigue le plus, ajoute-t-il, c’est un problème culturel, par exemple autour des droits des patients.»
Et ce médecin développe : «En soins palliatifs, par exemple, arrêter les traitements ne fait souvent pas partie de leur culture. Informer les patients n’est pas leur habitude. Il peut y avoir des conflits de valeurs. Je suis frappé de voir combien, dans mon service, certains médecins vont s’appuyer sur la famille plus que sur le patient, ce qui peut être problématique.» Un autre, médecin à diplôme étranger et totalement intégré, revient sur la question sociale et budgétaire. «Beaucoup d’entre nous exercent dans des hôpitaux difficiles, souvent isolés. Or la médecine hospitalière est collégiale. Comment fait-on ?»
«Ces médecins doivent au même titre que leurs confrères bénéficier de la confraternité, de l’entraide, et ne doivent pas être considérés comme des "envahisseurs", reconnaît le président de l’ordre des médecins, Patrick Brouet. Notre devoir est de les aider à intégrer notre système de santé.» Pour l’heure, cette présence importante permet de faire tourner la machine hospitalière. Mais la vie des hôpitaux en est changée. Or cet aspect n’est pas «travaillé» dans les hôpitaux, qui ont bien d’autres difficultés à traiter. «C’est dommage, lâche un médecin, ce mélange aurait pu être une chance, il est plutôt devenu un symptôme.»
Eric Favereau